Paroles étouffées et voix maternelle dans Bord de mer de Véronique Olmi

Une mère tue ses deux jeunes garçons. Ce pourrait être un fait divers presque ordinaire, si ce n’est qu’il s’agit d’un roman et que la voix maternelle et meurtrière se charge de faire entendre au lecteur l’inconcevable. Au fil des pages, la narratrice entrechoque, avec acharnement, les mots là où la société avait contraint cette mère célibataire au silence. Elle raconte minutieusement le détail de son échappée depuis ce jour où elle est partie, avec Stan et Kevin, pour découvrir ce bord de mer pluvieux qui donne son titre au bref roman de Véronique Olmi, paru en 2001. L’oralité du récit trahit progressivement la précarité et le désarroi maternels, mais aussi la maladresse et la fragilité d’une langue qui aisse entendre les prémices du drame : la mère, finalement, étouffe l’un après l’autre ses deux garçons, de tout le poids de son corps, comme elle avait, jusque-là, étouffé sa propre voix. L’analyse du fonctionnement et des modalités de la narration permet ici de définir le bruit d’une voix maternelle qui, bien que particulièrement puissante et dérangeante, n’en reste pas moins isolée dans la production romanesque française contemporaine. L’impensable et l’indicible sont à l’origine d’une langue unique dont il est nécessaire d’envisager les enjeux et les échos parmi le bruit des femmes aujourd’hui.