La femme, la voix, le livre. De la séduction heureuse des voix féminines dans les récits courtois

La voix est indéniablement pour nos sensibilités modernes à la fois une expression intime de l’individu et une arme de séduction à la frontière du dedans et du dehors, de l’âme et du corps, de la parole et de la musique. Mais le Moyen Âge est-il sensible à ses charmes ? En évoque-t-il les sortilèges lorsqu’une femme parle (il ne sera pas ici question du chant, dont les séductions sont bien connues et documentées)? Une idée préconçue veut que la voix féminine soit inaudible dans les textes parce que l’on rêve la femme muette au Moyen Âge. C’est partiellementvrai. Cependant, aux XIIe et XIIIe siècles s’opère une réelle réhabilitation de la parole. Le roman courtois, parce qu’il est contemporain de ce mouvement de revalorisation, et parce qu’il met en scène de nombreux personnages féminins séduisants, sera mon domaine d’exploration : nous rend-il sensibles au doux bruit de la voix féminine? Je montrerai tout d’abord qu’alors même qu’il peut accorder une grande importance à la parole de ses héroïnes, il n’en fait pas beaucoup entendre le son, et j’explorerai ce paradoxe d’une parole sans bruit. J’essaierai parailleurs de montrer que c’est au moment où se construit une culture écrite vernaculaire et où la lecture silencieuse devient la norme que les voix féminines se font plus audibles dans les textes. C’est en effet dans leur rapport au livre que les femmes du roman courtois font le plus clairement résonner une voix séduisante, voire sensuelle et érotique.